Zen mode d'emploi

Les fondamentaux de la pratique

 

Le zen nous est venu du Japon et, comme en témoigne ce site, la terminologie qui lui est propre est empruntée à la langue japonaise. Mais d’autres influences (Inde, Chine, Corée) ont contribué à façonner le zen, et sa transplantation en Occident ne manquera pas de donner de nouveaux fruits. Au-delà des formes héritées des cultures et des époques où il s’est épanoui, le zen véhicule un message universel et primordial, un modèle d’accomplissement de l’être humain dont on retrouve des échos dans toutes les traditions. Sa force et son originalité ne résident ni dans une doctrine, ni dans un rituel, ni dans une philosophie, ni dans un art de vivre, ni même dans ses enseignements, aussi percutants soient-ils… autant d’aspects dont la source et l’aboutissement ne sont rien d’autre que la pratique de zazen, qui est en vérité le sceau du zen.

L’objectif de cette partie du site est de fournir au débutant les rudiments qui lui permettront de ne pas être trop dépaysé dans le dojo (lieu de la Voie) et de se faire une idée de tous les ingrédients qui constituent ou accompagnent la pratique de zazen.

Zazen
Zazen est la posture assise, corps et esprit unifiés, la «seule grande affaire» disait Dogen (Japon, XIIIe siècle).
Bien qu’il s’agisse d’un tout indivisible, on peut l’aborder sous trois aspects : posture physique, respiration et attitude de l’esprit.

La posture est précise, elle exige de la concentration et un certain effort au début. Les jambes sont croisées, le bassin basculé de façon à ce que le ventre soit relâché, la colonne vertébrale étirée, le menton rentré pour redresser la nuque et pousser vers le haut avec le sommet du crâne, les épaules et le dos sont détendus, les mains (la gauche dans la droite) reposent sur le haut des cuisses, tranchants contre le bas-ventre et extrémités des pouces en contact. C’est une posture énergique, bien ancrée dans le sol, tonique mais sans tension ni violence. Elle évolue tout au long de la pratique et n’est jamais acquise.

La bascule du bassin, la rectitude de la colonne vertébrale et le relâchement de l’abdomen permettent de placer la respiration. La respiration en zazen est une respiration abdominale, longue, profonde et silencieuse. Une attention toute particulière est accordée à l’expiration, l’énergie descendant dans le bas ventre, sous le nombril, à mesure que les poumons se vident. C’est une respiration naturelle, douce et ample, qui a le mérite d’apaiser l’esprit et de l’élargir jusqu’aux confins de l’univers. Il n’y a pas de fin non plus à l’observation et à l’étude de la respiration.

L’art le plus subtil réside dans l’attitude de l’esprit, inséparable des deux points précédents. Comment pense-t-on pendant zazen? «Penser sans penser, penser du tréfonds de la non-pensée», disait Maître Deshimaru. L’esprit zen est vaste. Comme un miroir, il ne s’attache à rien et ne refuse rien. Les pensées s’élèvent et passent sans qu’on les entretienne ni les combatte. Simplement observer, sans jugement, et revenir à la posture et à la respiration.

Tout le reste découle de là. Par zazen, on renoue avec sa condition originelle, sa nature propre, avant les idées personnelles, les pulsions et les attachements. C’est une source inépuisable d’énergie, de bonheur et de créativité

 

Kinhin
Au milieu de la séance de zazen viennent s’intercaler quelques minutes de marche qui servent à délasser les muscles et les articulations. Kinhin est une marche rythmée par la respiration et alternant tension et détente. La respiration et l’attitude de l’esprit sont les mêmes qu’en zazen. De cette marche lente, dont émanent puissance et dignité, Maître Deshimaru disait qu’elle est la racine des arts martiaux.

Le kusen (enseignement oral)
Pendant zazen, un enseignement est dispensé: c’est le kusen. Le kusen ne vise pas à la transmission d’un bagage intellectuel ou d’une doctrine, comme le ferait une conférence ou un cours magistral, mais à l’approfondissement de la pratique. Enseignement oral, né et reçu dans l’instant, il met en jeu une triple dynamique, ou triple interaction.

Interaction entre la personne chargée de l’enseignement et les autres pratiquants. Dans le dojo, où tout le monde et chacun s’adonne à la pratique de la posture d’éveil, l’échange énergétique est constant. Le dirigeant s’appuie sur l’énergie qui émane des postures pour enseigner, et en retour les pratiquants s’appuient sur le kusen pour entrer plus profondément dans la posture, corps et esprit unifiés. Ce processus est d’autant plus puissant qu’il est inconscient, sans interférence de l’intellect.

Interaction entre l’enseignement des maîtres du passé et l’expérience intime ici et maintenant. En règle générale, le dirigeant, ainsi que les pratiquants anciens, ont une certaine connaissance des enseignements écrits. À travers le kusen, cette connaissance textuelle refleurit dans le cerveau profond, fécondée par l’expérience intime de la pratique de zazen. Ainsi s’instaure une dialectique très enrichissante entre théorie et pratique, dans laquelle les «mots et la lettre» n’ont pas d’autre mérite que de corroborer et d’éclairer l’expérience intime.

Interaction entre la sagesse et les comportements, entre la conscience et le karma. Émanant de la conscience profonde et s’adressant à la conscience profonde, le kusen agit comme une graine, qui mûrit dans les profondeurs de l’inconscient et dont les fruits apparaissent tout naturellement dans la manière d’être, les comportements quotidiens et les relations à autrui.

Le kyosaku (bâton d’enseignement)
Pendant zazen, lorsque le dirigeant le juge opportun, un responsable passe dans les rangs, muni d’un bâton qu’on appelle kyosaku. Les pratiquants qui éprouvent des difficultés à se concentrer – somnolence ou excès d’agitation – peuvent alors demander à recevoir le kyosaku. Ils joignent les mains devant eux à hauteur des yeux et, quand le responsable leur touche l’épaule avec le kyosaku, ils s’inclinent, d’abord à gauche et ensuite à droite, pour recevoir un coup de bâton sur chaque épaule. Bien administré, le kyosaku n’est pas douloureux; il a un effet immédiat, tonique et apaisant, non seulement pour celui qui le reçoit mais pour tous les pratiquants, car le claquement des coups de bâtons réveille et tonifie.

Le mondo (question – réponse)
De tout temps, les adeptes de la voie bouddhique ont testé mutuellement leur compréhension de la Loi. Dans le mondo tel que nous le connaissons aujourd’hui, l’enseignant invite les autres pratiquants à lui poser des questions à l’issue d’une séance de zazen. L’échange se déroule donc devant l’assemblée réunie, pour l’édification de tous, et non pas dans le cadre plus secret d’un tête à tête.

La cérémonie
Les séances de zazen se terminent par une cérémonie, qui consiste en chants rythmés par le mokugyo (un tambour dont le nom signifie poisson de bois), le gong et la clochette et ponctués de prosternations.

Le rituel, dans le zen, exclut toute notion de dualité, et donc de culte ou de vénération rendue à un objet extérieur. Ainsi les prosternations (sanpai) sont un geste d’unité entre le haut et le bas, le corps et l’esprit, l’homme et le cosmos. Les prosternations et les chants sont simplement l’actualisation de l’esprit de zazen avant le retour à la vie quotidienne, une manière de renouer avec le mouvement et l’expression au sortir de la concentration immobile et silencieuse. Conçue de la sorte, la cérémonie est un excellent miroir de l’harmonie qui règne dans le dojo comme en chacun des pratiquants.

 

La genmai (soupe de riz)
La genmai c’est une soupe constituée de riz complet et de cinq légumes coupés menus que l’on mange après le zazen du matin.

Quand maître Deshimaru est arrivé en France, il a d’abord été accueilli par un groupe d’adeptes de la macrobiotique, et c’est tout naturellement que l’un d’entre eux a préparé à sa demande la première genmai. La genmai que nous connaissons aujourd’hui est donc une variante locale du gruau de riz servi dans les temples japonais.

La soupe de riz (genmai) est à l’image de la pratique du zen. Elle n’a pas de saveur particulière, mais les contient toutes. Excellente, notamment pour la santé, elle ne cherche pas à flatter le goût. Consommée en silence après un chant d’offrande, elle prolonge la pratique de l’observation et de la concentration, qui est l’essence même du zen. Bien que la genmai soit tout ce qu’il y a de plus diététique, le zen n’est attaché à aucune forme d’alimentation particulière.

Le samu
C’est la pratique des tâches quotidiennes et des travaux manuels – cuisine, nettoyage, jardinage… – dans l’esprit de zazen, autrement dit l’esprit d’éveil.
Tout au long de l’histoire du zen le samu a eu une grande importance. Hyakujo, un maître chinois du VIIIe siècle, a beaucoup insisté sur ce point de la pratique. Une anecdote célèbre raconte que, alors qu’il était très âgé, ses disciples avaient caché ses outils pour qu’il se repose. Il refusa de s’alimenter tant qu’on ne retrouverait pas ses outils et déclara: «Un jour sans travail, un jour sans manger.»

Le samu est le complément, l’autre versant de zazen, en même temps que sa continuation. Il permet d’équilibrer les périodes d’immobilité avec les périodes d’activité, tout en restant concentré sur l’instant présent. C’est comme mettre un pied devant l’autre.

Le zen n’est pas une pratique abstraite, coupée des réalités quotidiennes de chacun. À travers l’accomplissement des tâches les plus ordinaires, le samu permet de relier la pratique de zazen à notre vie de tous les jours. Comme zazen, il est étude du corps-esprit: comment être concentré, entièrement présent dans ce qu’on fait, et en même temps libre et serein?

Sesshin (toucher l’esprit)
La régularité de la pratique est fondamentale et, au bout d’un certain temps, chacun trouve son propre rythme. Mais on peut parfois éprouver le besoin de s’immerger plus totalement dans le monde de zazen. Les sesshin offrent cette opportunité. Ce sont tout simplement des périodes un peu plus longues et intensives de pratique de zazen. Le dojo devient alors le cœur de l’activité et de la vie. Tout est organisé de façon à ce que les autres tâches – samu (voir plus haut), repas, sommeil – s’enchaînent harmonieusement et naturellement, sans effort et sans choix. En sesshin, il suffit de suivre les autres et de se laisser porter par la pratique. L’esprit s’apaise et l’on descend profondément en soi-même. Il n’existe pas meilleure manière de se mettre en «vacance», au sens fort du terme.

Le kesa (en sanscrit kasaya, qui signifie «couleur cassée») est le vêtement sombre, semblable à une toge, que revêt le moine pour pratiquer zazen. Il existe deux sortes de kesa: le grand kesa à sept bandes, exclusivement réservé à la pratique de zazen, et le petit kesa à cinq bandes, ou rakusu, qui se porte autour du cou dans la vie courante, pour travailler ou voyager.

On raconte que le Bouddha Shakyamuni ramassa tous les tissus les plus souillés, abîmés et inutilisables (linges ayant servi pour les règles ou les accouchements, linceuls etc.), qu’il les lava, les assembla et s’en fit un vêtement pour la méditation. Cet esprit du kesa se perpétue depuis lors, et sa couture, qui se fait suivant des règles très précises, est une pratique importante encore aujourd’hui. Elle prolonge la concentration profonde de zazen.

Le kesa est remis par le maître au pratiquant lors de la cérémonie d’ordination: celui qui le reçoit s’engage à pratiquer zazen régulièrement et à inscrire cette pratique au cœur de sa vie. Il s’engage de même à respecter et à porter le kesa. Il s’agit là d’un engagement purement personnel et intime.

"Zazenshin", l'esprit de zazen, par Wanshi Shokaku (XIème siècle)

 

La voie de l’Éveil, transmise directement de bouddha à bouddha
et de patriarche à patriarche, ne peut être actualisée que par la non-pensée et accomplie par la non-discrimination.
Comme elle est actualisée sans pensée, sa compréhension est directe, intime et parfaite.
Comme elle est accomplie sans discrimination, elle est vérifiée spontanément et inconsciemment.
Comme son actualisation est inconsciemment et naturellement intime, elle est éternellement sans souillure.
Comme son accomplissement est vérifié spontanément, il transcende toute contradiction.
Sa lumière, ne dépendant de rien, brille d’elle-même, tel un joyau précieux.
Étant sagesse intuitive du Bouddha, elle est pure de toute trace
d’illusion et d’Éveil.
Comme sa vérification est libre de tout concept, elle découle de la pratique persévérante et sans but.
Elle est comme une eau pure qui pénètre jusqu’au tréfonds de la terre, aussi libre que le poisson qui nage.
Elle est comme le ciel sans limite, aussi libre que l’oiseau qui vole.